Voici un livre réalisé pour les 60 ans de la maison Cardin qui vient combler un manque cruel de bibliographie sur le sujet. Nous l’avons parcouru avec les yeux experts et admiratifs de Magali Charasse, originaire de Séguret, qui fut couturière à Paris durant trente ans, inspirée par Pierre Cardin.
C’est à Séguret qu’elle est née et c’est à proximité de son village natal qu’elle est revenue passer sa retraite. Mais l’histoire commence dans les années cinquante. Fin 1956, Magali Charasse a 38 ans et rentre du Maroc où elle avait sa maison de couture. Elle s’installe à Paris en 1957 et retrouve Louis Féraud, originaire d’Arles. Ils se connaissaient, elle lui avait déjà fait des modèles. Louis qui venait d’ouvrir sa maison de couture deux ans auparavant lui propose de le rejoindre. Commence alors une longue collaboration durant laquelle ils réalisent ensemble les modèles sur Zizi, la femme de Louis Féraud. Elle exécute aussi des modèles pour Jacques Estérel dont la fameuse robe de mariée à carreaux vichy rose de Brigitte Bardot. C’est alors qu’elle effectue quelques robes pour Pierre Cardin à partir des modèles qu’il lui transmet. Le couturier avait, quant à lui, fondé sa maison en 1950, après un passage très remarqué chez Christian Dior.
Magali Charasse ouvrira ensuite son propre atelier, rue Lauriston puis rue Tiquetonne où, de 1965 à 1983, elle proposera pour sa clientèle ses propres modèles de prêt-à-porter.
Nous tournons ensemble les pages de ce grand et bel ouvrage, très fourni en photographies. « J’ai toujours considéré Pierre Cardin comme le meilleur. Il a eu des idées complètement neuves à l’époque, personne d’autre ne les avait amenées. Il a représenté un tournant ».
Elle ne le dit qu’à demi-mots, mais elle considère Pierre Cardin bien plus créatif qu’Yves Saint-Laurent qui a sophistiqué le classique mais qui n’a pas révolutionné la ligne.
Car Pierre Cardin a amené la pureté de la ligne et a pensé différemment la manière dont la femme se comportait. Deux aspects essentiels pour Magali Charasse.
Chez lui, la ligne est pure, jamais alourdie et l’ensemble est toujours équilibré. Le détail change tout : il est souvent dans les cols, boule par exemple ou cagoule retombant sur les épaules une fois ouvert, une belle ceinture originale, un drapé incroyable et en biais, une manche courte, trapèze ou circulaire. Aucune fanfreluche, une mode design.
Dans les années soixante, il change l’image de la femme. Le modèle archétypal était alors la silhouette Dior : un buste généreux, une taille fine et une jupe longue. Pierre Cardin invente une silhouette dynamique, et propose un vêtement plus facile à vivre qui permet de bouger différemment, en étant plus libre de ses mouvements. Les jupes et les robes raccourcissent nettement, les femmes ne sont plus embarrassées par leur longueur. La taille est libérée. Les mannequins sont photographiées en talons bottier qui suggèrent la possibilité de trotter toute la journée ainsi chaussées, elles portent des cheveux courts et des coupes modernes qui ne nécessitent plus de préparer une coiffure chaque matin. Succès de la jupe-bulle en 1967, de la robe-trapèze et de la fameuse Cardine si bien portée par Lauren Bacall en 1968. Elles seront mille fois copiées par d’autres couturiers et par les femmes qui toutes savent coudre et pour lesquelles ces modèles aux lignes simples sont faciles à reproduire, dans l’esprit tout du moins. Pierre Cardin traduit alors dans la mode le désir de liberté qui s’empare peu à peu de la société.
Mais nulle facilité dans tout cela, Pierre Cardin est un couturier dont la connaissance du métier et le savoir-faire sont extraordinaires, en témoignent ses sublimes robes de soirée où il peut exprimer son talent pour les drapés, les plissés, les coupes complexes.
Les hommes ne sont pas oubliés. Pour eux, il invente une ligne plus souple et plus simple, il enlève de la rigueur comme par exemple avec ses vestes sans col ou ses cols droits que populariseront les Beattles qu’il habille en 1964.
Mais l’innovation chez Pierre Cardin ne s’arrête pas là. Elle est aussi dans les matières et les couleurs. Peu d’imprimé chez lui, il préfère mélanger les couleurs en juxtaposant les tissus. Les couleurs sont vives et les tissus ou des matières sont utilisées là où on ne les attend pas. Il popularise le jersey uni ou à côte jusque-là rarement utilisé en haute-couture, un tissu souple, facile à porter, qui a de la tenue. Il utilise du vinyle pour réaliser des vêtements et des incrustations géométriques sur ses robes, une matière qui contribue à donner un air futuriste à ses modèles.
Couturier de très grand talent, Pierre Cardin est aussi un précurseur qui a le don de ressentir son époque instinctivement et un peu à la manière d’un sociologue. Il a démocratisé et rendu populaire la mode, faisant passer le message qu’elle était faite pour tous et non plus pour un groupe de privilégiés pouvant s’offrir de la haute-couture. Il est aussi un touche-à-tout de génie comme le montre l’ouvrage. Par ailleurs, farouchement indépendant, il a su préserver très tôt l’indépendance de sa maison de couture et ainsi ne pas se soumettre aux capitaux étrangers qui ont racheté nombre de ses confrères et imposé du fait de leur pratique capitaliste le matraquage publicitaire pour vendre à tout prix. Grâce aux licences qui portent son nom un peu partout dans le monde et qu’il a mises en place dès le début des années 1970, il a conservé sa liberté, gère sa maison et sait ce qui se passe chez lui. Ainsi, cette indépendance acquise le place à part sur la scène créative et médiatique puisqu’il n’a pas besoin de tapage pour exister.
Olivia Gazzano, n° 23 mars-avril 2010
Pierre Cardin, 60 ans de création. Préface de Laurence Benaïm. Textes de Jean-Pascal Hesse. 26 x 34 cm • 176 pages • 150 photographies • relié sous jaquette 65 euros€ • ISBN : 978 2 7594 0424 7 Éditions Assouline.
Historien de formation, Jean-Pascal Hesse est l’auteur de diverses publications. Proche collaborateur du célèbre couturier, il dirige, depuis 1995, le service de presse du groupe Pierre Cardin. Par ailleurs conseiller d’arrondissement de la Ville de Paris, il est en charge des grands événements culturels auprès du maire du XVIème arrondissement.
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