9 mai 2012

Centenaire René Barjavel, peut-on être prophète en son pays ?


Beaucoup de Drômois, voire de Provençaux, n’associent le nom de René Barjavel qu’à La Charrette bleue, faisant de lui un « écrivain du terroir ». C’est n’avoir qu’une vision unidimensionnelle de son œuvre, qui s’étend avec bien plus de diversité.
L’année 2011, centenaire de sa naissance à Nyons où des animations commémoratives se succèdent, est une occasion de le redécouvrir, et de se laisser surprendre par des œuvres sous-tendues par une pensée qui n’a rien perdu de son actualité.
Pour le grand public, Barjavel est un écrivain de science-fiction. S’il est vrai qu’il a grandement contribué à promouvoir ce "genre" en France, avant même que le terme existe, lui-même récusait ce terme, préférant considérer la S.-F. comme au dessus des genres, car les comprenant tous. Et, grand admirateur de La Fontaine, il se considérait bien davantage comme un fabuliste, tenant à donner à ses récits une moralité – mais non une morale. On peut donc le découvrir à partir de ses « Romans extraordinaires », les plus célèbres étant Ravage, Le Voyageur imprudent et La Nuit des temps, en se gardant bien de négliger les autres.
Puis on s’apercevra qu’il a écrit des « Romans merveilleux », qui n’ont rien de science-fictionnesques, mais dont l’atmosphère incite au voyage, souvent intérieur : Tarendol, Les Chemins de Katmandou, Les Dames à la Licorne (écrit avec Olenka de Veer) et sa suite, Les Jours du monde. Des contes, à lire et relire (en particulier Le Prince blessé, petit bijou de fantaisie et de sage psychologie, et le sans doute initiatique Les Mains d’Anicette.)
Tous ses écrits sont marqués par un profond humanisme, une curiosité insatiable envers le monde et une grande tolérance. Il est donc bien naturel de les retrouver exprimés de façon plus « théoriques » dans ses essais, Journal d’un homme simple, La Faim du tigre, Si J’étais Dieu, Demain le paradis. Sans oublier sa Lettre ouverte aux vivants, où il aborde le problème de l’énergie nucléaire avec des prémonitions qui en imposent sa relecture aujourd’hui.
Mais Barjavel fut aussi bien autre chose qu’un écrivain – de livres tout du moins. Journaliste durant pratiquement toute sa vie, depuis ses débuts (1930 au Progrès de l’Allier jusqu’à ses chroniques au Journal du dimanche (de 1969 à 1981), avec aussi une importante activité de critique (cinéma, théâtre et radio).
Et surtout, il a été l’auteur de davantage de scénarios et dialogues de films (35) que de livres (24) ! Si tout le monde connaît les Don Camillo, point fort de sa collaboration amicale avec Duvivier, bien d’autres titres lui ont donné l’occasion de faire dire ses mots par des acteurs célèbres : Gabin, de Funès, Delon, Hossein.
On voit donc que l’exploration de son œuvre est un long voyage, passionnant, très varié, et c’est peut-être ce qui explique sa méconnaissance. Cette diversité le rend difficile à classer, et encore plus à "récupérer" – ce qu’il a refusé toute sa vie. Faisons sa connaissance, tout simplement.

Pierre Creveuil, président de l'Association des mis de René Barjavel.
Coordinateur du site http://barjaweb.free.fr

Paru dans Prosper, le Magazine culturel, Vaucluse, Avignon, Drôme provençale, Alpilles. N° 26, juillet, août, septembre 2011.


Rencontre avec Marc Bataille, gentleman-poète


Dans une autre vie, il a été coursier à mobylette, ouvrier d’usine, puis chef d’entreprise dans l’immobilier et Parisien pressé. Le voici, depuis six ans, respirant un autre air, celui de Lourmarin. Ici, sous le ciel cher à Camus, les pages d’une existence multiforme se déplient autrement, se recomposent, avec la poésie pour fil conducteur. Car s’il est une constante chez ce gentleman-poète aux allures un peu lunaires, c’est l’écriture. « J’y suis venu très tôt, pour exister », dit-il. Des blessures d’enfance jamais refermées, une sensibilité à fleur de peau, puis la brutalité du monde du travail, l’argent, le pouvoir… « Le kaléidoscope de mes métiers m’amène à porter un regard un peu différent sur les choses. Ma position en toutes circonstances, c’est une certaine mise à distance », dit-il. Un titre dans le journal, une circonstance de la vie quotidienne font jaillir des juxtapositions de mots, qu’il note sur des bouts de papier. «De temps en temps, je jette tout, je garde quelques phrases. » Cette matière première, il la retravaille sur le mode éruptif quand il entre « en état d’écrire ». Elégance, discrétion, cruauté. Les mots jaillissent, nets, simples, avec leur poids de quotidien. L’auteur les rassemble en petites formes dont il pense également la typographie, les alinéas, les blancs. En exergue de son dernier opus « Voici venir l’orage », une citation de Nietzsche est donnée comme une clé: « La profondeur se cache à la surface des choses ».

Carina Istre

« Papillon du matin », Ed. Opéra. « Parfois je vous quitte », Ed. Elzévir. « Voici venir l’orage », Ed. Elzévir.

Paru dans Prosper, le Magazine culturel, Vaucluse, Avignon, Drôme provençale, Alpilles. N° 26, juillet, août, septembre 2011.